> CORPS 1 : LA PRINCESSE & LA RECHERCHE _________________________________

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Blanc de meudon

Tirage pigmentaire sur papier Hahnemüehle contrecollé sur dibond
150 x 100 cm
Ed. 10 ex. + 5 EA.
Daté, signé et numéroté au dos
2011
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Corps 1, À la recherche du temps perdu est un multiple de dix exemplaires imprimé sur papier fine-art et contrecollé sur dibond, réalisé en 2011, qui présente dans un format vertical les quelque deux mille trois cent quatre-vingt-dix pages des sept tomes de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, publiés entre 1913 et 1927. Si elle se rattache clairement à un livre, roman-fleuve à la portée universelle, il ne viendrait sans doute à personne l’idée de ranger l’œuvre dans une bibliothèque ; elle appartient clairement au domaine des arts plastiques, sans vraiment se rattacher aux problématiques posées notamment par Art & Language ou le lettrisme. Peut-être est-elle plutôt à classer au rang des prouesses permises par la technologie numérique qui ne cessent de réinterroger la notion et la perception de l’œuvre d’art, prouesse qui ne négligerait ni l’aspect esthétique ni la richesse intrinsèque ou la capacité à émerveiller de l’objet artistique. La présence de l’intégralité du texte sur le support rappelle les tablettes numériques mais Corps 1 : À la recherche du temps perdu n’en offre aucune des modalités, empêchant par son format imposant tout transport et par son absence d’interactivité toute possibilité de navigation à l’intérieur du contenu. La lentille de grossissement optique qui l’accompagne et qui pourrait sembler quelque peu archaïque et désuète face à cet objet d’apparence high-tech rappelle bien la volonté du Collectif Anonyme de jouer avec les attendus du spectateur dans une œuvre qui par bien des aspects provoque le vertige.
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Le texte de Marcel Proust est en effet à première vue indiscernable, métamorphosé en un monochrome gris clair ; le jeu d’alternances irrégulières entre les lettres et les espaces blancs crée une surface sur laquelle se déploient d’innombrables nuances qui constitue un voile vibrant. Ce n’est que lorsque le spectateur s’approche qu’il perçoit les millions de caractères qui le composent ; les lignes et les mots deviennent alors visibles, sans pour autant rendre réellement lisible le texte de La Recherche, qui ne peut être perçu que par bribes, plus facilement d’ailleurs de haut en bas, par blocs, que de gauche à droite comme il est de coutume dans un livre à l’occidentale. Les lettres sont susceptibles de se brouiller, sont facilement perdues de vue ; seuls des fragments peuvent être saisis par l’œil qui parcourt l’image, avant de retrouver leur place dans une masse indifférenciée. La lecture d’une seule ligne demande une concentration extrême et la possibilité d’embrasser l’ensemble n’est nullement compatible avec celle de le lire minutieusement. Cette impossibilité de lecture n’est pas sans générer une certaine frustration, face à une œuvre qui toise son spectateur et oblige à croire ses auteurs quant à la réalité de sa présence. Une tension naît de la discordance entre les différents temps de lecture de l’objet – temps de vérification et temps du livre, qui ne sont évidemment pas ceux de la contemplation, qui finit par s’imposer comme le seul envisageable.
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Le texte est ainsi plus un texte à regarder qu’un texte à lire ; la longueur des lignes comme l’absence de pages empêchent toute intimité avec l’œuvre littéraire originale et en rendent la lecture impossible, tout en matérialisant de manière imposante un texte totémique. C’est en effet, après Corps 1 : La Princesse de Clèves – premier livre à avoir été soumis à ce traitement par le Collectif anonyme –, une œuvre à forte portée symbolique qui est réappropriée, une œuvre tombée dans le domaine public et ayant fait l’objet d’innombrables éditions et transpositions qui est donnée à voir sous un angle inédit. Si l’effet serait sans doute le même avec la plupart des livres publiés depuis l’invention de l’imprimerie, le spectateur ne peut s’empêcher de retrouver, dans l’aspect massif et inextricable du texte, vu de près, comme dans le paysage uniforme qui se dessine, vu de loin, l’impression d’harmonie dense et sans rupture qui caractérise l’écriture de la Recherche. La perte du statut du livre s’accompagne ainsi d’une véritable transcription plastique du texte, qui peut offrir l’illusion d’une véritable traduction matérielle.

Courtesy Collectif Anonyme
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